( http://www.desirsdavenir.org/accueil-lassociation/fonctionnement/adherer-et-donner.html )
Merci d’être là si nombreux pour cette nouvelle Université Populaire
Participative consacrée à une utopie que je crois réalisable si nous en
prenons les moyens : une presse et des medias libres et responsables,
aux droits solidement protégés et aux devoirs assumés.
Je remercie très chaleureusement nos invités d’apporter à nos débats
l’éclairage de leur expérience et de leurs réflexions, sous la houlette amicale et compétente de Jean-Pierre Mignard qui animera cette soirée.
Je voudrais, avant de leur passer la parole, vous dire un peu dans quel
esprit j’ai voulu que nous puissions réfléchir ensemble, débattre et ,je
l’espère, faire émerger des propositions et des pistes d’action. Car
la liberté d’informer est chose trop grave et, en ce moment, trop
malmenée pour que nous nous satisfaisions d’incantations consensuelles.
Si, demain, les Français accordent leur confiance à la gauche, il nous
faudra agir car le véritable enjeu de l’information, c’est la démocratie.
Joseph Pulitzer, cette grande figure américaine d’un journalisme
d’exigence, le disait en son temps : « Notre République et sa presse
graviront ensemble les sommets ou bien elles iront ensemble à leur perte "
Je le dis en pesant mes mots : il y a urgence dans notre pays.
Jamais, en effet, les forces brutales d’un marché obsédé de
rentabilité à court terme n’ont à ce point pesé sur les conditions de
production de l’information.
Jamais, depuis bien longtemps, l’interventionnisme intempestif et
arbitraire d’un pouvoir foulant aux pieds ses propres lois n’a à ce point
menacé le libre exercice du métier de journaliste.
Jamais non plus, une révolution technologique n’a bouleversé à ce
point les modèles économiques, la hiérarchie des supports, les
pratiques journalistiques , les attentes et les comportements de citoyens qui ne
sont pas, loin de là, des récepteurs passifs mais, de plus en plus,des
acteurs doués d’une capacité d’expertise et de critique.
I.- 1er combat : contre l’arbitraire du pouvoir
Peut-être avez-vous entendu, sur France Info, la réaction stupéfaite
de Philippe Turle, éditorialiste anglais, après la dernière interview
élyséenne du Président de la République. Je vous la cite car il est
toujours instructif de se voir dans le regard des autres : « C’est du
jamais vu en Angleterre. 1 h 30 avec 3 chaînes mobilisées ! C’est
comme au temps de l’ORTF avant 1975. C’est comme si on allait voir
Louis XIV. Il nous reçoit, les représentants du peuple, dans son palais. Et
on le titille avec des questions programmées à l’avance. La seule fois ou
on mobilise 2 chaînes, en Angleterre, c’est pour le discours de la reine à Noel et il dure 10 minutes. La France se dit moderne mais elle ne l'est pas ».
Et encore n’est-ce là qu’un des aspects de cette mise sous tutelle.
Il s’est arrogé le pouvoir exorbitant de nommer les patrons de
l’audiovisuel public et s’autorise des irruptions incessantes dans la
programmation.
L’ami fidèle des patrons de chaînes privées s’est efforcé de leur
offrir le monopole des recettes publicitaires.
L’autoritarisme d’Etat et les privilèges affinitaires s’affirment
aujourd’hui sans bornes ni pudeur.
Au point que des journalistes mesurés comme Alain et Patrice Duhamel
en font, dans leur livre récemment paru, une description glaçante.
Mais il y a pire : ces entraves à répétition qui s’abattent sur les
journalistes pour les punir de faire leur métier. Ces gardes à vue,ces
mises en examen, ces cambriolages dans les locaux de plusieurs
journaux, l’épluchage des « fadettes » au mépris de la protection des sources...
Il est vrai que, de l’affaire Woerth-Bettencourt à celle de Karachi en
passant par la coûteuse boulimie sondagière de l’Elysée, les sujets ne
manquent pas… La loi transgressée, les journalistes harcelés et
espionnés, leurs ordinateurs volés. Alors que certains mettaient en
doute cette réalité , permettez-moi de vous confier que je les ai tout de suite
reconnues et qu’elles m’ont rappelé les cambriolages d’ordinateurs de mon
équipe de campagne en 2007. Avec deux fois mon domicile mis à sac.
La France vient de dégringoler à la 44ème place dans le dernier bilan
annuel de Reporters Sans frontières sur la liberté de la presse, juste
devant l’Italie berlusconienne mais loin, très loin de tous les autres pays européens.
Or la liberté de la presse, c’est un droit qui appartient à tous les
citoyens. C’est notre bien commun.
Il y a un an quasiment jour pour jour, l’Appel de la Colline, lancé
par Mediapart et RSF, rappelait que le droit à l’information, à la libre
critique et à la diversité des opinions est la condition d’une
authentique délibération démocratique. Il rappelait que la protection des
sources garantit le droit d’alerte des citoyens et que la publicité
des actes de l’exécutif est nécessaire à l’interpellation démocratique .
De l’expérience de leur remise en cause durant ces trois dernières
années, je tire la conviction qu’il nous faudra, outre une pratique
radicalement différente du pouvoir, des lois plus claires et plus
fermes, y compris sur la protection des sources journalistiques,pierre angulaire
de la possibilité d’informer. Car la loi de janvier 2010, prise pour
se conformer aux recommandations européennes et vantée par le gouvernement
comme une avancée considérable, se révèle à l’usage une protection
bien défaillante face à un pouvoir qui se croit tout permis et ne recule devant aucun porocédé .
C’est pourquoi nous attendons du débat de ce soir des propositions sur
les bonnes barrières à ériger contre les risques de pression des pouvoirs quels qu'ils soient.
II.- 2ème combat : contre le pouvoir de l’argent
L’autre pouvoir menaçant pour les libertés journalistiques et civiques
est celui de l’argent.
Il y eut d’abord les années de concentration. C’est un sujet dont
Nicolas Sarkozy a dit, lors des Etats Généraux de la presse, qu’il n'en
était pas un car le seul problème, à ses yeux, est que les journaux ne
sont pas assez rentables pour attirer davantage d’investisseurs. Il en a
d’ailleurs profité pour préconiser la suppression du seuil maximum de
20% fixé aux prises de participation non communautaires dans une
entreprise de presse française .
Quant aux journalistes, le Président de la République leur signifia
clairement son opposition à la reconnaissance juridique des sociétés de rédacteurs.
Le temps n’est plus, comme dans les années 60, où un Lazareff pouvait
affirmer : « France-Soir, c’est moi ».
Jacques Rigaud, l’ancien président de RTL, date la grande
transformation du milieu des années 90 et de l’arrivée de ceux qu’il appelle
« les visages pâles ".
Leur ligne d’horizon, dit-il, c’était le cours en Bourse ,la rentabilité à outrance, la prééminence des stratégies financiéres .
Tout s’est enchaîné très vite avec l’arrivée des fonds d'investissement seulement intéressés par le court terme, intervenant dans les stratégies industrielles puis dans les positionnements éditoriaux.
Mondialisation financière, multiplication des fusions, acquisitions,
restructurations et reventes juteuses : il en a résulté, décuplé par la
révolution technologique, un profond bouleversement économique et professionnel.
On a vu arriver de nouveaux opérateurs de l’informatique et des
télécommunications, des diffuseurs décidés à proposer des contenus. On a
entendu M. Le Lay dire avec une robuste franchise ce qu’était pour lui
le rôle de TF1 : offrir à Coca Cola du temps de cervelle disponible chez un nombre maximum de téléspectateurs.
On a vu aussi cette exception française pas franchement culturelle :
de grands groupes venus du BTP et des marchés de l’armement, vivant de la
commande publique s’emparer des quotidiens, des magazines et des
chaînes. Et ce qui devait arriver arriva : ici un article retiré ou affadi car
susceptible de nuire au business d’origine, là une information «trappée » car susceptible de déplaire au pouvoir dispensateur de contrats et faveurs.
Des conflits d’intérêts arbitrés au détriment du devoir d’informer.
Alors que faire ?
Retourner au modèle économique d’antan n’est plus possible : le monde
d’hier n’est plus et c’est dans celui d’aujourd’hui qu’il faut
inscrire les bonnes régulations et les bons contre-poids.
Comment, si on pense que l’information n’est pas une marchandise comme
les autres, garantir efficacement l’indépendance et la pluralité de la presse ?
Faut-il, comme je le crois, plafonner la part des groupes dépendant de
la commande publique, qui ne devraient pas être l’actionnaire de référence ?
Quels pourraient être, dans le contexte qui est le nôtre, les contours
d’un modèle mixte, économiquement viable, dont le capital privé ne
serait pas banni mais où son pouvoir serait équilibré ?
Le projet de loi défendu par Patrick Bloche, inscrit l’indépendance
des rédactions dans le droit et renforcer leur pouvoir face aux
dirigeants et aux actionnaires ? Mais comment garantir cette affirmation ?
Comment épauler aussi ceux qui, dans la presse internautique, ont fait
le choix d’un autre modèle où la garantie de l’indépendance
rédactionnelle résulte de la propriété du capital par les journalistes
et les lecteurs ?
III.- 3eme combat : maitriser la révolution technologique
Beaucoup est donc à repenser si nous voulons, au-delà des résistances
d’aujourd’hui, refonder demain sur des bases solides les droits et les
devoirs des journalistes au service du droit fondamental des citoyens
à l’information.
Nous avons à le faire en tenant compte de la prodigieuse révolution
technologique. Internet, bien sûr, et ses applications démultipliées,mais
aussi les téléphones portables et tous ces « objets nomades » qui font
de plus en plus partie de notre quotidien.
L’irruption des journaux gratuits, l’information en continu,
l’invention de journaux internautiques, la croissance exponentielle des blogs ,
l’accumulation des sondages sont les réponses sont dans les questions
de ceux qui les financent, et qui sont relayés comme des informations
scientifiques, la contamination de la peopolisation et de la vulgarité
de certains émissions pseudo comique qui dégradent en même temps la parole
journalistique sérieuse et la responsabilité politique sérieuse. : les
mutations de ces dernières années ont transformé les manières de dire,
bousculé les critères de légitimité, déstabilisé tous les métiers de
presse, renforcé à bien des égards ont renforcé cette dictature du
temps court qui empêche de vérifier et de mettre en perspective
Quelles sont, dans ce vaste champ en mutation les chances nouvelles
mais aussi les dangers inédits auxquels l’action publique doit
répondre
IV.- Pour une nouvelle donne
A l’égard de la presse, écrite ou audiovisuelle, les Français
expriment depuis nombre d’années à la fois une soif et un intéret souvent
passionné mais aussi une défiance, un scepticisme, dont les
journalistes sont les premiers conscients. Les politiques ne sont pas mieux traités et
le discrédit des uns retentit sur les discrédit des autres.
Certaines dérives, les journalistes le savent bien, ont nourri la
suspicion. Sans doute les conditions de travail y ont-elles leur part mais ces
dérapages posent aussi, crûment, la question de la responsabilité
médiatique. Tous les journalistes n’ont pas emboîté le pas, beaucoup de
rédactions ont été amenées à s’interroger sincèrement mais on comprend
que, dans l’opinion, la confiance ait été durablement ébranlée.
D’autant plus que les citoyens ont appris à décrypter les récits et
les images, les stratégies publicitaires et les roueries du marketing
politique. Comme le dit Denis Muzet : les émetteurs de stratégies
encodent mais les récepteurs décodent.
Ces lecteurs, auditeurs et téléspectateurs plus avertis et avides de
participation sont une raison de plus de redéfinir les responsabilités
individuelles et collectives de ceux qui font la presse, tous supports
confondus, et ont en partage le devoir d’informer.
Le malaise des journalistes n’est pas moins vif devant ce que beaucoup
ressentent comme une dégradation des conditions d’exercice de leur
métier. J’emprunte au dernier livre de Jean-Marie Charron ce résultat
éloquent d’un sondage du CSA réalisé pour les Assises du journalisme en
2007 : 47% des journalistes interrogés disaient n’avoir pas les moyens
d’effectuer un travail qui serait à leurs yeux de qualité, 40% disaient
ne jamais disposer du temps nécessaire et 38% confiaient qu’ils souffrent davantage de la pression économique et financière que des contraintes
inhérentes au traitement de l’actualité. C’est dire la réalité d’une
forme de souffrance professionnelle qui n’a pas dû s’atténuer
depuis trois ans. La course permanente à l’audience, la précarisation
de la profession, la polyvalence imposée, les écarts de salaires, la
pression constante sur les effectifs, c’est aussi cela le quotidien de la grande majorité des journalistes.
V.- Ethique personnelle et déontologie professionnelle
Depuis la fin des années 70, bien des chartes et des codes propres aux
entreprises de presse ont été élaborés. Dans la foulée des Etats
Généraux de la presse, un projet de Code de déontologie journalistique a été présenté mais il est loin de faire l’unanimité : peut -être pourrez-vous nous sur ce point.
Que devrait, selon vous, codifier une Charte qui définirait de manière
équilibrée les droits et les devoirs des journalistes ?
Faut-il, pour veiller à son application, une instance nationale de
déontologie qui soit l’émanation élue de la profession et pourrait
s’adjoindre des experts voire des représentants des citoyens ?
VI.- Un contre pouvoir
Je ne suis pas sûre qu’il soit juste de qualifier la presse de 4ème
pouvoir mais je sais que son contre-pouvoir est le moteur d’une
démocratie qui doit des comptes à ses citoyens. Et c’est une bien noble tâche que
de donner à comprendre, quelque sujet qu’on traite, le temps présent et
l’histoire, proche ou lointaine, en train de se faire.
La démocratie a besoin de journalistes qui nous rapportent les échos du vaste monde ou nous informent de notre environnement proche et nous aident ,
ce faisant, à nous y situer.
La démocratie a besoin d’une presse d’investigation qui lève les coins
du voile, débusque les scandales d’Etat, révèle les mensonges des
pouvoirs quels qu’ils soient.
La démocratie a besoin de journalistes qui nous aident à décentrer
notre regard, à nous défaire des idées toutes faites et nous donnent à voir
l’infinie variété des situation sociales et politiques.
La démocratie a besoin de journaux, de radios et de télévisions qui
soient aussi, comme le disait jadis Benjamin Constant, « un recours ouvert à
l’opprimé pour faire entendre sa réclamation et l’assurer que,
interdite ou étouffée par les voies ordinaires », elle ne restera pas inaudible.
La démocratie a besoin d’une presse rigoureuse et lucide. D’une presse
attentive aux plus faibles qui sont trop souvent des « blessés de
l’information » à la dignité desquels on n’est pas toujours attentif.
Et d’une presse capable, quand l’intérêt général est en jeu, de défier les puissants.
Sous bien des latitudes, des journalistes s’obstinent à faire leur travail au péril de leur vie. Je pense, parmi bien d’autres, à Anna Polikovskaia, aux journalistes mexicains abattus par les narco-trafiquants , à Christian Poveida assassiné au moment où sortait son beau travail d'enquête sur mes mars
son beau travail, ces gangs de jeunes salvadoriens et, bien
sûr, à Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, otages en Afghanistan depuis un an.
Chacun aurait pu se reconnaître dans cette définition d’Albert Londres
: « un journaliste n’est pas un enfant de chœur et son rôle ne
consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une
corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir ,pas
non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ».
A vous maintenant, que je remercie encore une fois d’avoir accepté
notre invitation, de nous aider à mieux comprendre les grandeurs et les
servitudes du métier de journaliste afin que, le moment venu, nous
soyons en mesure d’agir juste, pour un renouveau de la démocratie dont la
France a bien besoin.
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